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La Juri-Lettre
 

  Information Juridique du 22 mars 2004


par Cécile CAPENDEGUY
 

Proposition de Règlement du Conseil portant création d’un Titre Exécutoire Européen pour les créances incontestées

 


LA CREATION D’UN TITRE EXECUTOIRE EUROPEEN : Accouchement difficile et implications après naissance 

Après le Marché Unique, la libre circulation des marchandises et des personnes l’Europe s’est donnée pour objectif de créer un véritable « espace judiciaire européen ». 

Nul doute que lorsqu’il s’agit de justice, les Etats ont par nature beaucoup de mal à déléguer leur compétence et qu’il leur est fort difficile de dépasser le réflexe habituel qui consiste à voir dans la justice le domaine réservé des souverainetés nationales. 

Nul besoin non plus de s’attacher à démontrer les obstacles latents pour parvenir à éliminer toutes les barrières en matière de justice et d’organiser une coopération entre les juridictions.  

Mais, de se féliciter du dernier instrument en cours d’élaboration, plus performant, concernant la création d’un titre exécutoire européen.

Réunis au sommet intergouvernemental de Tampere les 15 et 16 Octobre 1999, les Etats européens ont décidé de faire avancer l’Europe de la Justice sans méconnaître toutes les difficultés liées à la coopération judiciaire européenne dans cette matière. 

Ils ont enfin pris conscience de la nécessité de faire circuler la justice en approuvant le principe de la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires comme « pierre angulaire de la création d’un véritable espace judiciaire » devant aboutir à terme à la suppression de l’Exequatur, procédure qui prend du temps, coûte cher et reste aléatoire.

En effet, il est évident qu’un véritable espace de justice doit assurer la sécurité aux opérateurs économiques et que pour remplir pleinement cet objectif, il est nécessaire de prendre des mesures d’application efficaces.

En cela, ce principe devrait donc se traduire en pratique par le respect et l’exécution dans l’ensemble de l’Union de tous les jugements et de toutes les décisions de justice.

Ce qui est décidé par un juge dans un état membre, doit être reconnu dans un autre état membre. 

Non sans mal et sans difficultés, les Etats membres sont parvenus, enfin, à se mettre d’accord pour pallier aux difficultés transfrontalières en matière de recouvrement de créance.

Une telle avancée ne saurait avoir été motivée uniquement par des raisons politiques.

D’autres facteurs sociaux -économiques, réels, indubitables et certains ont participé à cette volonté.  

Aujourd’hui avec le développement des échanges, les litiges transfrontaliers se sont multipliés en matière commerciale. 

En pratique, tout acteur économique s’agissant de reconnaissance d’une créance a dû faire face à un problème d’exécution dans un autre état, à des procédures complexes et lentes générant des coûts, une lassitude et des pertes financières importantes. ET de dire que chaque année, des milliers de décisions judiciaires sont rendues par les juges de chacun des pays membres, que leur exécution se heurte à des procédures différentes, parfois à l’inertie des Tribunaux qui, surchargés, préfèrent donner la priorité aux dossiers nationaux, n’est certainement sans fondement.

La conséquence évidente étant l’impossibilité de recouvrer la créance à l’étranger, ce qui peut avoir un effet de ruine pour les entreprises et particulièrement pour les PME qui, pour la plupart, ne peuvent se voir confronter à des procédures de recouvrement durant des mois voire des années. 

Il devenait donc nécessaire de donner plus de visibilité à la coopération judiciaire dans ce domaine. 

L’objectif de création d’un titre exécutoire européen serait donc un remède efficace aux difficultés économiques et le but à atteindre. Cette nécessité de créer un Titre Exécutoire à l’échelon européen a trouvé sa raison d’être par les difficultés transfrontalières rencontrées au stade de l’exécution  du recouvrement de créances des PME. 

Un tel objectif résulte donc de la volonté d’atténuer, ou si l’on se veut plus ambitieux d’abolir, l’écueil des frontières qui reste une entrave à la libre circulation des jugements en Europe et qui est source de difficultés pour les opérateurs économiques. 

Dans l’absolu, on ne peut que se délecter d’un tel progrès pour l’Europe qui veut faciliter l’accès au droit de ses ressortissants.

Et, c’est en ce sens même que cette proposition de règlement portant création d’un Titre Exécutoire Européen vise à rendre directement et de plein droit exécutoire une décision de justice rendue par un Tribunal ou par une Cour des Etats membres dans un autre état membre sans que cette dernière soit subordonnée à une procédure de contrôle dans le pays d’exécution de ladite décision.

Concrètement le Titre Exécutoire Européen supprime la procédure d’exequatur en son sens classique et en cela on ne peut qu’applaudir la mise en place d’un tel instrument, qui, de surcroît, apparaît comme plus performant. 

Nul doute que l’exequatur, et malgré les simplifications opérées par le règlement du 22 Décembre 2000, dit Bruxelles I, est une procédure longue, aléatoire puisqu’une contestation est toujours possible et difficile dans certains pays comme l’Espagne, qu’il n’est pas surprenant de citer.  

Et a fortiori, les états perçoivent toujours d’un très mauvais œil l’intégration dans leur ordre juridique de décisions étrangères compte tenu de l’application du principe de souveraineté nationale.

Aucune démesure n’existe donc à dire que cette procédure est un frein à l’exécution d’un jugement et engendre des pertes financières inéluctables pour les créanciers en raison de la langue, de la culture juridique et en raison principalement du coût. 

Concrètement, un créancier qui a obtenu un jugement dans un état membre peut demander au juge de cet état membre, si la créance est incontestée, de certifier ce jugement comme titre exécutoire européen susceptible de circuler et d’être exécuté dans toute l’Union Européenne sans exequatur. 

Désormais, cette proposition prévoit qu’un créancier qui obtient un jugement favorable en France peut procéder à son exécution en Italie par simple certification du Tribunal qui a rendu la décision, en l’espèce le Tribunal Français, et sans avoir à demander l’exequatur en Italie. 

Cette proposition s’intègre dans la volonté d’une plus grande efficacité de la justice pour le recouvrement des créances transfrontalières et ayant pour corollaire le développement de l’économie en Europe.

Cette proposition apparaît donc comme un instrument idyllique pour les créanciers qui peuvent entrevoir ainsi une garantie pour le recouvrement de leurs créances transfrontalières.

Certes, en supprimant la procédure d’exequatur, il est évident que les créanciers peuvent y voir un gain de temps et un gain financier, néanmoins, il ne va pas s’en dire qu’une telle réalité semble bien utopique.

Peut– on raisonnablement penser que l’on puisse procéder à l’exécution forcée d’une décision de justice dans un état tiers et préserver en cela les droits des créanciers tout  en mettant de coté les droits du débiteur ?

A l’heure de la mise en place d’une charte européenne des droits fondamentaux, qui fera probablement partie de la future constitution européenne, de la place de plus en plus grandissante que la justice européenne accorde au respect des droits de la défense, ne serait-on pas en train de bafouer les règles du procès équitable et de l’application  de l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme ?

Les instances politiques n’auraient pu mettre en place de telles règles et discréditer la justice européenne !

A fortiori, force est de constater que certains gardes fous existent et peuvent venir contrecarrer les intérêts économiques, financiers et limiter les doux rêves des créanciers.

En effet, le projet instaure des règles minimales à l’établissement de ce titre en obligeant le jugement à respecter les droits de la défense notamment en matière de signification ou de notification de l’acte introductif d’instance. 

Une garantie essentielle pour le créancier est que si le défendeur choisit de ne pas comparaître, qu’il apparaît certain que l’acte introductif d’instance lui a été signifié ou notifié en temps utile, les droits de la défense sont considérés comme respectés.

A contrario, ce titre n’est susceptible d’aucun recours ce qui implique qu’un défendeur peut faire l’objet d’une exécution forcée contre ses biens ou sa propriété sans avoir  eu connaissance de ladite procédure : n’est ce pas là une garantie surprenante pour les créanciers ?

On notera également que le jugement susceptible d’être certifié en tant que Titre exécutoire européen ne concerne qu’une créance certaine, liquide, exigible et n’ayant fait l’objet d’aucune contestation : le champ d’application de ce règlement se trouve donc indubitablement restreint.

 

Sur ce point précis se situe la limite colossale de cette proposition. 

A la lecture de ces conditions, il semblerait que le référé provision ne soit pas concerné en ce sens que même s’il ne suppose pas contestation sérieuse, contestation du débiteur il y a et donc, reste exclu du champ d’application de cette proposition de règlement. Il faudrait donc que le débiteur ne comparaisse pas ou ne conteste plus l’obligation en cours de procédure pour qu’il entre dans le champ d’application de ce règlement.

La nécessité d’une créance incontestée pourrait donc avoir pour effet de  conduire les débiteurs à contester systématiquement la créance pour éviter que le jugement ne soit certifié comme Titre Exécutoire Européen. 

Il convient également de préciser que l’exequatur permet de s’assurer qu’une décision qui doit être exécutée dans le pays autre que celui d’origine n’est pas incompatible avec une décision du pays d’exécution.           

Il semble quelque peu hasardeux de penser que le pays d’origine serait en mesure de savoir si une décision peut être intégrée dans un ordre juridique autre que le sien et serait en mesure de régler un conflit de décision.

Ce problème ne se posera donc pas tant au stade de la certification mais bien au stade de l’exécution de la décision. Le débiteur aura toujours la possibilité de  former un recours contre une décision incompatible.

Ce paradoxe montre que, bien évidemment, cet aléa existe mais qu’il ne s’agit aujourd’hui que de pure spéculation.

Nous ne sommes pas en mesure de savoir si cet aléa surgira dans tous les cas ou seulement de manière résiduelle alors faut-il considérer que les créanciers obtiendront plus de sécurité, moins de coût ?

Il s’agit principalement à ce stade de poser les implications et les difficultés qui pourraient surgir pour les créanciers. 

Depuis plus de 10 ans, on étudie ce projet et alors qu’en cette matière les conflits de droits se multiplient, il est temps de mettre enfin sur pied une procédure qui faciliterait le recouvrement des créances transfrontalières. 

On ne peut que se réjouir d’une telle gloire avec toutefois la réserve que les diversités juridiques demeurent  difficiles à occulter et, fort heureusement, on parviendrait en ce sens à annihiler totalement le droit international privé des Etats. 

Est envisagé également un rapprochement des droits d’exécution (une procédure de saisie européenne de créance bancaire) mais il semble difficile et illusoire de croire à une uniformisation.

Doit- on s’en réjouir ?

Le contraire signifierait qu’au sein d’un « espace judiciaire européen » devant être le lieu de prédilection du respect des droits et des obligations des créanciers on octroierait aux débiteurs certains droits qui ne feraient que les conforter, le plus souvent, dans leur mauvaise foi…

Où se situe la justice, et a fortiori au niveau communautaire,  si ne disposant pas des moyens transfrontaliers pour faire respecter les droits de nos clients on nous oppose par delà un droit des débiteurs ?

 

   

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